Dans la communauté des coachs agiles, le confinement forcé des parents coachs avec enfants se traduit par un déluge de posts ventant ce qu’ils ont mis en place pour “aider leurs enfants” (nous allons voir plus tard que c’est tout à fait relatif) à coup de photos de board kanban, de burndown charts, etc. pour organiser l’école à la maison.

Cet article m’est inspiré par une discussion avec un coach qui exhibait justement le board kanban fait pour ses enfants. J’en ai déduis une certaine fierté, l’article ne semblant pas être fait pour recevoir de la critique mais plutôt dans un esprit de partager une bonne trouvaille ; je me suis retrouvé embêté dans ce qu’il conseillait.

Je vais décrire ci-après ce qui me gêne dans cette diffusion, c’est à dire mon jugement personnel de ces pratiques. Puis, dans un autre article, je vous proposerai le résultat de ma réflexion sur ce besoin d’organiser autrement l’école à la maison.

Je sais que je vais toucher dans cet article un point sensible pour chacun. Mon but n’est pas de pointer du doigt, mais d’inviter à une réflexion sur nos pratiques. En équipe, en famille.

Donc, commençons par les pratiques que je vois et qui me gênent en tant que facilitateur.

Collaboration

Sur énormément de posts et articles montrant le board des devoirs, celui-ci est organisé par enfant.

Chaque enfant a sa liste de choses à faire. Sa liste d’éléments (des devoirs), surement à l’image de ce qui se fait dans certaines équipes où chaque membre de l’équipe à sa liste de choses à faire.

Équipes ? Disons plutôt… groupes de personnes. Une équipe n’est pas une somme de personnes travaillant en silos.

La collaboration est au cœur des valeurs de l’agilité. Ne peut-on donc pas penser qu’un coach agile tente naturellement d’apporter cette valeur au sein… de sa famille.

Ce coach agile préconise-t-il aux équipes qu’il accompagne de travailler chacun de son côté ? De s’occuper de ses affaires ? Dans ce cas précis, je ne sais pas, je n’espère pas, mais alors pourquoi le faire pour ses enfants, puisqu’on sait que ce n’est pas le plus efficace ?

Lors de ma discussion avec lui, celui-ci m’expliquait alors que ce n’était pas pareil. Que les enfants n’ont pas le même niveau, qu’ils ne peuvent pas s’entraider.

A-t-il essayé ? Ou bien base-t-il son jugement sur sa propre idée ? Sur le sens commun ?

Je ne suis pas d’accord. D’autres pédagogies l’ont bien compris. Comme l’agilité : on apprend mieux grâce à ses pairs que grâce à un enseignant. De mon expérience de vieux con, c’est encore plus vrai pour un enfant.

Dans les classes Montessori, par exemple, des élèves de 3 âges se côtoient. De trois à six ans, de sept à neuf ans et de dix à douze ans.

Naturellement (parce que oui, il semblerait que l’homme soit une bête plutôt sociale), les plus grands aident les plus jeunes, qui ont appris alors la valeur de demander de l’aide et, grandissant, aident à leur tout les plus petits qu’eux.

Mais ce n’est pas tout : il arrive aussi que les plus petits aident les plus grands, malgré qu’ils n’aient pas le même niveau.

C’est un acquis social fort qui reste toute la vie.

Tout comme un dev junior peut apprendre d’un dev senior, l’inverse est totalement vrai. Un junior dans un domaine pourra apporter une vue fraîche, nouvelle, différente à un senior potentiellement trop ancré dans son quotidien, dans ce qu’il connaît.

Le parent, le prof, le dirigeant…

Autre point qui m’a interloqué dans beaucoup de description de ce qui a été mis en place, ce sont les colonnes À valider par le parent.

C’est une colonne qu’on retrouve très – trop – souvent dans les équipes en entreprise, même celles qui se considèrent agiles.

Le chef, la donneuse d’ordre, le patron, le product owner doit vérifier ce qu’à fait l’équipe.

Après tout, l’équipe n’est composée que d’experts, d’ingénieurs, recrutés pour leur capacité à résoudre des problèmes, à concevoir des solutions. Pourquoi leur faire confiance ?

Ce que je remarque dans les équipes dans lesquelles j’arrive et qui utilisent ce type de procédé, c’est que le PO qui demande ce genre d’étape pour passer en done, n’a juste pas confiance en lui-même (ou elle-même).

En creusant un peu, on se rend compte que cette personne pense avoir bâclé son travail de passer de l’information à l’équipe, souvent à cause d’une surcharge de travail ou simplement parce que cette personne n’est pas réellement dans l’équipe. Il y a donc de grandes chances que celle-ci ne livre pas la bonne chose.

Donc au lieu de donner tous les éléments aux personnes qui font (les critères d’acceptation de la tâche), on leur dit ce qu’il faut faire “à peu près” pendant le planning qui, en conséquence, ne dure pas longtemps – et ça tombe bien, puisqu’on a pas le temps. On doit ensuite vérifier (souvent : à la dernière minute juste avant la revue).

Peut-on faire autrement avec les enfants ?

Les enfants n’ont-ils pas la capacité de s’auto-évaluer ? De vérifier et corriger leur travaux eux-mêmes ?

Vélocité imposée

La vélocité, ça ne se commande pas, ça se mesure.

C’est aussi une des valeurs principales de l’agilité. Le manager qui impose une vélocité à l’équipe — “vous ferez 40 points !” — nous le fustigeons !

“Allons monsieur, la vélocité est ce que l’équipe a pu réaliser par le passé, on ne peut la prédire ni la commander”

Bon par contre pour les devoirs des enfants, là… on peut. “Il y a 3 devoirs à faire par jour et par enfant”. Un point, c’est tout.

Là aussi, ne peut-on pas mieux faire ?

Pourquoi cela serait inefficace pour les adultes, mais efficace pour les enfants ?

Oui mais c’est une première étape…

Je l’entends. Oui.

C’est peut-être une bonne première étape, mais alors, par pitié, faites attention à votre communication.

Des personnes moins expertes (comme moi), ne vont pas comprendre que c’est une première étape, ils vont appliquer chez eux ce qu’ils ont vu chez un coach agile, c’est donc forcément agile et bien.

C’est surtout ce qu’on appelle du Cargo Cult alors si c’est une première étape et que vous le savez, informez-en vos lecteurs, c’est la moindre des choses.

Je vous invite à continuer la lecture avec cet article sur ce que cette période de confinement nous apprend ↗.